Trottoir d'Enfance

Publié le par AnimalDan

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A l’époque, une des époques, où je turbinais, il y avait ce type  qui venait de temps en temps danser sur la pelouse, sous les fenêtres de l’immeuble des douanes. Il tournait comme un bon ours dans son gros manteau, chantait et faisait le beau, des fonctionnaires se bidonnaient derrière les vitres, que l’on ouvrait des fois pour lui lancer des pièces après lesquelles il courait, qu’il cherchait dans l’herbe.

Un matin en allant au foutu bureau, je l’ai vu sortir d’un container vide sur un parc, clignant des yeux au jour. Blanc comme plâtre des galoches au béret.

On envoyait de chez nous des galets de mer aux Américains, qui les retournaient broyés, pulvérisés pour la faïencerie, la céramique… la fabrication de dentifrice même je crois bien. Une fois les « boîtes » vidées de leur pulvérulent chargement, le plancher en restait tapissé de plusieurs centimètres parfois d’impalpable, comme un talc qu’il fallait nettoyer à la vapeur.

Tombé de nuit dans ce refuge, sans savoir, peut-être ivre, l’homme en jaillit au réveil comme un Pierrot hagard, comme un bonhomme de neige effaré qui se donne partout de grandes claques, fait voler des nuages qui retombent au fur et à mesure et s’accrochent à lui, blanc comme jamais sous le soleil livide.

 

Un autre jour en ville, sous les arcades, je l’ai vu à quatre pattes. Il ramassait à pleines mains, des mains incroyablement noires, de la crème à la vanille qu’il remettait dans sa barquette. Il s’était payé ça, ou l’avait barboté, et, tirant sur la pellicule métallisée pour ouvrir le récipient de bonne crème jaune, avait dû le laisser échapper et éclater par terre. Il ramassait et léchait ses doigts noirs, des gens, des femmes avec des gosses, s’écartaient avec des regards incrédules, des billes révulsées, des grimaces, des « Ah.. !! » de dégoût.

 

Une fois encore, la dernière je crois, je l’ai vu, assis au bord d’un trottoir manger à-même une boîte de cassoulet figé, y plongeant les mêmes doigts pareillement sales, gobant des saucisses, mettant de la sauce couleur de corail dans sa barbe comme du soleil couchant au-dessus du bitume.

 

 

 

(Spectacle affreux, vu tout môme sur la plage de Bruneval, de ces esclaves aveuglés d’œillères, chevaux, mulets, ânes bâtés de grands paniers pleins à ras bord de galets, forçats que l’on lançait à grands « Hue.. ! » et coups de bâton prendre leur élan sur une aire de planches pour se jeter écumants à l’assaut de la valleuse.)

 

 

 

 

Tant et tant il s’est déposé de poussière fine, tandis que je dormais, couche après couche d’erreur, de déception, de vagues culpabilités, renoncements, compromissions infimes, un talc lourd à présent comme galet à mes épaules, que l’on secoue en vain en s’agitant pour rien, qui se redépose, il faudrait courir mais vers où, comme un fou, en se donnant des claques.

 

 

 

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L
<br /> J'en ai pris plein la tronche avec ton texte ! Merci !<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Merci à toi pour ta lecture pugiliste..! Pas trop sonné quand même, j'espère..? JLuc<br /> <br /> <br /> <br />